BARLET Olivier
AFRICULTURES
Il y a quelque chose de profondément émouvant dans le dernier film du cinéaste malheureusement disparu en 2006 : conscient de sa maladie mais sans le laisser apparaître sur le tournage, Henri Duparc a conçu Caramel comme un adieu. Il n´en a pas pour autant fait un pompeux ou prétentieux testament, bien au contraire : il se contente une fois de plus de zoomer comme dans la première image sur Abidjan, la terre d´accueil de ce métis guinéen qui y avait trouvé ancrage et succès.
Soucieux de conserver un contact direct avec le public et conscient de l´évolution de la diffusion dans une ville o ?s cinémas ont fermé, il adopte un style télévisuel multipliant les champs contrechamps dans les dialogues et cadrant volontiers les visages de ses protagonistes. Fidèle à son habituelle dérision puisant dans une fine observation du milieu, une utilisation des permanentes inventions linguistiques du français de Côte d´ivoire et du vaudeville des comédies thé ?ales ivoiriennes, il exagère comme toujours personnages et situations jusqu´à la caricature pour mieux produire un contre discours aux problèmes de l´heure, dénonçant l´intolérance et la bêtise. Mais cette parodie respecte toujours ses personnages qui conservent toute leur humanité, seule façon de proposer au spectateur de se regarder tel qu´il est et de se corriger. "
"... (Car) le cinéma prend une place inattendue dans le film et l´on comprend peu à peu combien Caramel se réfère à la carrière d´Henri Duparc, non de façon biographique mais signalant ses tentatives, ses échecs, ses engagements. Les affiches de ses films émaillent les mûrs et des extraits d´Abusuan, L´Herbe Sauvage, Bal Poussière et Couleur Café contribuent au récit. Fred qui y roule dans une voiture arborant en grosses lettres le slogan « le cinéma fait rêver » – un combat cher à Duparc–, s´engage à fond, persuadé qu´il va remonter les comptes de son cinéma qui périclite faute de spectateurs en organisant une semaine du cinéma africain. Au programme : Abusuan, Camp de Thiaroye, Kodou, rien que des bijoux historiques des cinémas d´Afrique, mais aussi fers de lance d´un cinéma thématiquement et esthétiquement autocentré. On sait qu´Henri Duparc avait repris Le Pharaon, une salle abidjanaise, dans l´idée de programmer en priorité des films africains mais qu´il avait dû fermer sous le coup de la dévaluation du franc CFA qui alourdissait les charges tout en diminuant les recettes. "
...Son amour pour Caramel l´entraînera loin, au–delà du réel, dans un monde que le cinéma ose parfois aborder avec humour comme dans Ghost (Jerry Zucker, 1990, avec Whoopi Goldberg) ou Always (Steven Spielberg, 1989) : comment les morts veillent sur les vivants. Une façon de nous dire qu´en nous faisant rêver, le cinéma nous emmène comme l´amour au–delà de nous–mêmes, qu´il nous permet de nous transcender. Mais aussi de nous rappeler, comme Duparc le déclarait lui–même, « que seul le drame qui peut exister sur terre, pour un individu, c´est la mort, et qu´au–delà de ça, tout le reste n´est qu´une comédie humaine ! »