Télévision Camerounaise CRTV
CRTV
Vous êtes l´un des rares réalisateurs africains à faire des films où les questions de sexe sont abordées avec " légèreté" sans drame, ni tabou. Comment en êtes–vous arrivé à ce niveau d´écriture lorsqu´on sait que les Africains n´ont pas cette culture de parler librement de sexe ?
Henri Duparc
Je commencerai rejeter cette question dans sa formulation : " où les questions de sexe sont abordées avec " légèreté" sans drame, ni tabou. Et dire plutôt " où l´érotisme est abordé sans drame, ni tabou. " L´approche du sexe peut relever d´une vue scientifique, ( un documentaire sur la conception d´un enfant, sur les MST etc .. ) il peut être érotisme ou pornographie. Avec " BAL POUSSIERE ", il est vrai, certains critiques ont vite fait de conclure que je me suis spécialisé dans un genre cinématographique, celui de la comédie, mais une comédie qu´ils trouvent trop en " dessous de la ceinture. Quand on voit une paire de seins sur une carte postale qui fait la promotion du tourisme en Afrique, on s´en accommode. Et quand on voit la même paire de seins sur un écran au cinéma, dans un film africain, on joue les agacés. Allez comprendre quelque chose. Je ne vois pas dans ce cas précis, pourquoi faire de l´auto censure. Je ne suis pas auteur de films à donner dans l´hypocrisie, à camoufler la réalité. Passer sous silence la tendresse, l´amour, le sexe dans les films africains, c´est nier leur existence, ce qui est absurde. Montrer une femme dans un lit, qui vit une scène d´amour avec son amant et la vêtir d´un pull–over comme c´est le cas dans le film le " le Médecin de Gafiré " c´est non seulement la négation de l´amour c´est également dénier à l´Africain la capacité à vivre une sexualité normale. Est–ce que cela veut dire qu´au nom d´une fausse pudeur, d´une hypocrisie généralisée de comportement, on ne peut en Afrique réaliser des films comme "l´empire des sens", du Japonais Toshima, peindre des tableaux comme " L´origine du monde " de Gustave Courbet ?
CRTV
Comment expliquez–vous le fait que le cinéma africain fasse tant d´ellipses dans les scènes d´amour ? Les réalisateurs sont pudiques ou pensent–ils à leur public qu´ils jugent pudiques ?
Henri Duparc
Je n´explique rien puisque je ne suis pas dans ce cas. Peut–être les autres réalisateurs apprécient–ils à tort leur public ? Je dis à tort car il est de notoriété publique que les africains sont de gros consommateurs de films à caractère pornographique, sans doute parce que leur sexualité est bridée. Bridée, pas seulement au cinéma mais dans la vie tout simplement. Cela explique que la femme est considérée comme un objet sexuel et pas comme une belle âme. Dès lors, tous les comportements sont autorisés. Ce qui justifie que la femme soit mutilée sexuellement presque partout en Afrique, qu´elle soit soumise à la lapidation comme au Nigeria, qu´elle disparaisse sous la bourca comme en Afghanistan.
CRTV
Comment le public vous juge–t–il ? aime–t–il votre approche professionnelle ou vous reproche–t–il souvent ce parti pris pour la légèreté de traitement des sujets les plus graves ?
Henri Duparc
Au vu du succès rencontré par mes films je ne pense pas que le public me reproche quelque chose. Lorsque nous avons réalisé le film "Rue princesse" à San Pedro à 300 kms d´Abidjan, nous n´avons jamais deviné que le succès du film aurait poussé les spectateurs à baptiser "Rue princesse" la rue la plus "chaude" de Yopougon un quartier d´Abidjan. La "rue princesse de Yopougon" est aujourd´hui plus célèbre que le film. Dois–je le prendre comme un satisfecit ou comme une réprobation ? En ce qui concerne le traitement que je fais des choses de la vie, je me préoccupe très peu du public. Le public est mortel et l´œuvre de l´esprit est pérenne.
CRTV
Au cinéma les scènes d´amour sont–elles "obligées ?"
Henri Duparc
Je vous retourne la question. Pensez–vous que dans la vie courante, celle de tous les jours, vous pouvez vous passer d´amour ? La réponse que vous donnerez à cette question est celle que je lui donne également.
CRTV
Comment avez vous pu amener vos acteurs à jouer avec autant de naturel ? (la scène par exemple avec les filles qui ont les seins nus à la plage dans "Bal poussière" ?
Henri Duparc
Il faut éviter de faire l´amalgame entre un personnage dans la vie et le même personnage sur une scène de théâtre ou un plateau de cinéma. Il a un transfert de personnalité, parce qu´il y a un rôle à jouer. Jouer un rôle, c´est cesser d´être le personnage que l´on est dans la vie pour entrer dans la peau de celui que l´on doit interpréter. Lorsque l´acteur atteint ce pouvoir de différenciation, le naturel s´impose de lui–même. Mais si vous jouez en vous disant que le spectateur peut confondre le personnage vu à l´écran et celui qu´il côtoie dans la vie, le jeu devient faux.
CRTV
Où trouvez–vous la ressource de tant d´humour et tant d´esprit ?
Henri Duparc
La vie est très courte quand on veut la regarder attentivement. Des hommes qui étaient à vos côtés il y a vingt ans ne sont plus aujourd´hui et il est vraisemblable que ceux qui sont adultes aujourd´hui, seront des souvenirs dans quarante ans. A quoi vais–je consacrer le peu de temps que je vais passer sur terre ? A vivre. Vivre pleinement de toutes ces bonnes choses que la vie nous donne ; l´amour, l´esprit, l´humour. C´est pourquoi, au lieu de me morfondre, de déclarer des querelles aux gens, de cultiver l´égo ?e, j´ai choisi de tourner en dérision les vicissitudes de la vie. Je pense qu´il est beaucoup plus facile d´éveiller les consciences en adoptant une approche du sujet plus accessible au public, c´est à dire par l´humour, la comédie, la bonne humeur.
CRTV
Si l´on vous demandait de réaliser un film "sérieux", plein de drame et de suspens tragique, sans humour, sans une seule réplique, un seul dialogue qui évoque de près ou de loin le sexe le pourriez–vous ?
Henri Duparc
Vous venez de m´apprendre que le mot "sérieux" regroupe les thèmes "drame, suspens tragique, absence d´humour, non–existence de sexualité" S´il en est ainsi, je crois que ce mot n´a jamais existé en moi et je comprends pourquoi j´aime tant la vie, l´amour, la bonne bouffe, tout ce qui fait que je suis heureux de la vie. Je suis s ?ue sans amour, sans sexualité, sans amitié, sans fraternité, sans rire, sans générosité, il n´y a de place pour aucune vie. Je n´ai pas vécu avec elles, mais je suis persuadé que les fourmis savent rire et savent faire l´amour